vendredi 24 juin 2016

Balade dans les rues de Béni-Saf

Poursuivant ma balade, je redescends le boulevard Mohammed Larbi Ben M’Hidi, sous un ciel d'azur et le soleil du matin, il ne fait pas très chaud, mais c'est mon élément préféré pour entamer cette journée après une belle nuit de sommeil. Il est donc à peine 7 heures 30 minutes et je savoure déjà la clémence de ce moment, à la fois, beau et fort apaisant.
À l’entrée de la ville, la mosquée baptisée au nom de de l'honorable et l’illustre homme, resté fidèle au serment prêté au Prophète, Ubâda Ibn As-Sâmit, l’ex. Eglise Sainte Barbe, élevée en1880, qui portait encore les marques de la présence française dans notre pays jusqu’à sa reconversion, puis deux voies, l’une descendant vers l’ancienne cave Vincent, où est construit actuellement le nouveau siège de la mairie, dans un virage, donnant sur le boulevard Kadri Kaddour, ex. Jean Jaurès ou la rue de Témouchent. À gauche, la route d’Ançor et la forêt dite la Jungle. C’est là, qu’enfants, nous allions jouer ou nous promener les dimanches en famille.
La deuxième voie passe par le Boulevard Mohamed Larbi Ben M’Hidi, ex. Boulevard Alphonse Parran, où j’habite, jusqu’à Sidi Boucif, le Petit Stade Tabtab Bounouar, où l’écho et la mélodie du roi de la trompette, Messaoud Bellemou, plane et résonne encore dans mes oreilles, du temps des gloires de la prestigieuse JPBS, et à droite la Rue de la République qui descend.
Je retourne à la rue de la République, pour saluer des amis puis dévale la rue en jetant un regard triste sur la façade du cinéma Rex et sur toutes ces belles vitrines fermées ou emmurées en arrivant au comble du comble, le devenir de nos petits hôtels, en me posant un tas de questions jusqu’ à ce que j’arrive à la rue de la Mairie, à droite de la stèle du soldat inconnu, ou plutôt ce qui reste du monument, comme il plait aux béni-safiens de l’appeler, qui n’existe plus; puis je passe devant ce qui fut un temps le kiosque à essence et je tourne par la rue de la Paix . À l’angle, l’Hôtel Robert, en plein travaux.
Là, j’avais le choix entre la Place du marché et son jardinet qu’on appelait le jet d’eau, avec des bancs en granito. Derrière le marché couvert, devenu un centre commercial entre guillemets, qui a perdu sa vocation depuis la mode des Souk-el-fellah, un marché hebdomadaire, qui n’en est plus un, devenu avec le temps un marché quotidien.
Je m’arrête un peu et je continue en empruntant la rue de la marine, en fait, c’est la continuité du Boulevard Kadri Kaddour et me dirige vers le Port, par l’allée du jardin de glacis de la mairie, au bout duquel dominait la Mairie, aussi majestueuse, mais abandonnée, accessible par un long escalier tout droit et d’autres petites accès en courbes, un jardin, véritable réserve florale, en son temps, une carte postale, vendue dans les kiosques, mais qui a, lui aussi, par la stupidité des hommes, perdu son charme que dis-je ? - sa vocation … Enfants, en passant sur cette allée, nous courions pour arriver vite à la Plage du Puits. Que de souvenirs !
Je jette un coup d’œil sur la glacière, rongée par la rouille, qui fabriquait, naguère, de la glace, en longues barres, destinée spécialement à conserver le poisson après l’avoir broyée pour être disséminée dans les corbeilles, les guerbillos, ou les casiers en bois, pleins de poissons mais que certains ménages utilisaient aussi en barre pour conserver les aliments corruptibles , ou rafraîchir les boissons…
À cette époque, certaines familles avaient, dans leurs maisons, un petit meuble en bois, tapissé à l’intérieur de zinc, destiné à conserver au frais toute la nourriture périssable, un présage du frigidaire actuel. Pour les plus pauvres, à défaut de glacière, la barre de glace était plongée dans une grande bassine d’eau, la caldera (qui veut dire chaudière parce que ce récipient en tôle galvanisée servait aussi à chauffer l’eau) où ils mettaient surtout les boissons, ou les fruits …etc.
Je me réveille de mes illusions et devant moi, je vois un autre paysage, aussi désolant, les installations minières abandonnées, les ateliers et les bureaux de la mine qui se répandaient jusqu’au port.
Je fais un tour au petit port, l’âme de Béni-Saf, dans un silence imposant car presque vide et désert, mais qui raconte toutes ces années passées, ces marins, remailleurs, patrons, raïs et mousses dont beaucoup ne sont plus de ce monde. Un port dont l’histoire se mêle, plus ou moins, à celle de la mer méditerranée, la mer blanche, riche d’une histoire complexe et ancienne et à la réputation d'une ville importante dans un passé récent.
Se promener sur les quais est une coutume qui tend à se perdre tant la vie dans cette contrée tourne au ralenti en ce moment …
Le soleil darde , depuis un moment, ses premiers rayons sur l’embarcadère où dodelinent les bateaux et embarcations de toutes sortes, évacués au petit matin, par des marins, certainement fatigués, rentrés chez eux ,en ce moment, pour se reposer et reprendre le rituel, le soir venu.
Mon esprit s’éloigne dans le calme et la solitude.
Je continue ma promenade, là des rochers empilés en brise-lames sur lesquels se tiennent des pêcheurs, à la ligne, d’autres passionnés de la mer, que j’ai toujours enviés.
Là-bas, des chalutiers, des lamparos, avec leurs lampes qui marchaient autrefois au carbure, actuellement ce sont des ampoules sur batteries, je crois. 
En face, la halle en bordure de quai où, chaque après-midi, les chalutiers exposaient les produits de leur pêche, du poisson noble à la moraille, qui est dirigé sur plusieurs destinations.
Dans le port de Béni-Saf, il y avait des marins, pour reprendre Brel dans sa belle chanson, dans le port d’Amsterdam, des marins qui rêvent, qui dorment, qui meurent, des marins qui naissent, qui rient, avec de grosses mains, qui ont le regard fixé, des marins qui buvaient à la santé des autres … Oui, Mesdames, Messieurs, ce sont ces gens-là qui ont perpétué l’existence de notre ville. Mais là, je me perds.
Là, il y avait une rue qui passait devant des hangars, une autre qui menait vers les quais plus vastes qu’aujourd‘hui, où accostaient les chalutiers, les bateaux et même des petits cargos. à l’entrée du port, la « draga » ou la drague, gros navire métallique qui raclait les fonds sablonneux pour stabiliser le plan d’eau …
À l’intérieur, se dressait, en position verticale, il n’y a pas longtemps encore, un équipement mécanique appelé le chargeur ou le «Cargaor», en espagnol, constitué d’un long bras métallique qui ressemble étonnamment à une réplique de la Tour Eiffel, resté inactif après l’épuisement des gisements de fer. À l’origine, il servait à descendre jusqu’à l’horizontale pour atteindre et remplir les cales des cargos, au moyen d’un tapis roulant qui reçoit le minerai dans une trémie, remplie par des wagonnets qu’une voie ferrée ramenait jusqu’au chargeur en enjambant un pont minier qui, pendant longtemps, portait quelques anciens wagons témoignait de l’histoire minière de la Ville.
J’en ai des images, des photos de Jean Geiser ou Malbert et même des cartes postales de la SNED, qui étaient vendues à Oran, la rue d’Arzew , aux arcades, ou la Rue de Tlemcen, chez Bakhti Images.
Cet univers du port me rappelle autant l’industrie de la pêche, pratiquement disparu de nos jours, qui occupait une place privilégiée dans l'économie de la ville : plusieurs magasins de salaison d’anchois, qui ne sont plus là, avaient nourri des familles entières, les usines de conserve de sardines à l’huile, «La Dauphine» ou «Papa Falcone», la plus ancienne conserverie étant celle de Fouché, dont je ne me rappelle pas.
En sortant du port, en face, enfants ou jeunes, un marchand ambulant nous vendait les figues de barbarie, les délicieux tchoumbos, en espagnol, aussi, plus il épluchait et plus on en mangeait le fruit succulent, c’était surtout en remontant de la Plage du Puits mais après, je ne vous dis pas.
J’ai le choix entre passer par la rue de l’abattoir, prolongée par une corniche menant à la plage de Sidi-Boucif ou aller à la Plage du puits par l’école des mousses et les Docks, la coopérative de blés, pour admirer le boulevard , bordée de palmiers et, tout au long, de maisons et les belles villas , ou ce qui en reste, dont certaines étaient des résidences officielles, celles du Wali et du Chef de Daïra et d’autres dignitaires, elles donnaient toutes sur la plage au sable fin.
Texte inspiré du récit de M. Paul Giudici Je me souviens … Béni-Saf, France, 2003

Ecrit le 26 déc. 2015 11:15

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